Vendredi 13
13/11/2015
Le vendredi 13 suscite depuis toujours de nombreuses réactions superstitieuses, positives et négatives. Ces réactions sont plus ou moins justifiées, et leurs raisons plus ou moins crédibles. Tout dépend des mœurs et des croyances de chacun. Les superstitions ne sont jamais universelles, et là où l’on croit quelque chose, on peut ne pas y croire ailleurs. Le vendredi 13 est particulièrement délicat car il a la particularité d’associer deux superstitions claires et distinctes, le vendredi et le 13. Il y a ceux qui sont réticents au nombre 13 en règle générale, les triskaïdekaphobes, et ceux qui ont une peur bleue du vendredi 13, les paraskévidékatriaphobes. Mais pour beaucoup d’entre nous, le vendredi 13 peut aussi être un jour qui porte chance. C’est bien sûr pour cette raison que le Loto ou l’Euromillion proposent ces jours-là des cagnottes mirobolantes, sachant que les inconditionnels de jeux d’argent et de hasard se rueront pour tenter leur chance.
Mais pourquoi cet engouement face à une simple date ? Pour mieux comprendre cette révulsion ou cette adoration, nous allons nous attarder sur les mythes, les origines, les religions et leurs conséquences sur notre monde actuel.
Le vendredi, un jour pas comme les autres
Dans la culture gréco-romaine dont nous sommes bien empreints, la déesse de l’Amour, Aphrodite pour les uns, Vénus pour les autres, était célébrée le vendredi. Durant la période du haut Moyen-Âge, avant sa christianisation, l’Europe du nord était elle aussi polythéiste. Ses croyances, moins connues en France, nous offrent aujourd’hui une mythologie nordique généreuse de richesse et de culture. Chez les Islandais et les scandinaves, l’Amour était représenté par la déesse Frigg pour les uns et Freyja pour les autres. Cette déesse était, elle aussi, félicitée le vendredi. Petite anecdote, Friday, ou vendredi, dans la langue de Shakespeare, proviendrait de cette signification « Freyja’s day » ou le jour de Freyja. Comprenons alors que l’Amour, qu’elle s’appelle Vénus, Frigg, Freyja ou Aphrodite, faisait du vendredi un jour de joie, de chants, de danses et de fête. Un jour bienheureux, un jour de bonheur, un jour même, porte-bonheur.
C’est la religion chrétienne qui vient mettre un terme à ces festivités du vendredi. Adam et Eve ont été créés par Dieu « le sixième jour » de la création, soit le vendredi. Outre leur apparition annonçant un destin pécheur, il est probable qu’ils aient succombé à la tentation un vendredi et que les portes du paradis terrestre se soient refermées sur eux ce jour-là. Ces explications issues de la Genèse ne seraient que les prémices de la réelle signification d’un vendredi funeste chez les chrétiens et, par extrapolation, chez les occidentaux. C’est avec le nouveau testament et la crucifixion de Jésus qu’un voile noir s’abat sur la gaité du vendredi. C’est lors de ce fameux vendredi saint, précédant le dimanche de Pâques, que la mort barbare du messie a lieu, traumatisant tous les fidèles. La christianisation de l’Europe et de l’Occident au cours du Moyen-Âge cultivera et associera jusqu’à nos jours ce rapport, triste et culpabilisateur, au vendredi. Un vendredi en deuil, un vendredi rappelant le sacrifice du sauveur, voilà pourquoi ce jour peut être si mal perçu.
13, le nombre maudit
Revenons un peu dans l’Antiquité, à nos croyances gréco-romaines. Le 12 était le nombre de la perfection, de la totalité entière, le nombre de l’unité et de la régularité. Associé aux mois de l’année, aux heures du jour et de la nuit, aux signes du zodiaque, aux constellations, aux tribus d’Israël, aux travaux d’Hercules, aux nombre de dieux olympiens, et à bien d’autres encore, le 12 était le nombre du bonheur, de l’équilibre parfait. Alors comment appréhender avec bienveillance ce 13 venant juste après ? Ce nombre, destructeur, qui vient rompre l’harmonie établie, ne peut qu’être rejeté et maudit. Il était déjà redouté et éveillait dans les foules des sentiments de déséquilibre, de division, de rupture et de méfiance.
Dans la mythologie nordique, Odin, dieu des dieux, organisa un diner chez lui en compagnie de 12 dieux amis. La soirée s’annonçait bien quand un treizième convive se présenta malgré le fait qu’il ne fut volontairement pas invité. Et pour cause ! Il s’agissait de Loki, dieu du mal et de la querelle, cruel et malveillant. Odin et Loki entrèrent dans un conflit sanglant dans lequel Balder, fils d’Odin et de Frigg (notre déesse de l’Amour célébrée le vendredi), périt douloureusement et injustement. Le treizième invité sema le trouble, et dorénavant, son nombre aussi. L’Europe du Nord, envahie au Moyen-Âge, dût se convertir au christianisme. Frigg, adulée jusqu’alors, fût subitement considérée comme sorcière et, suite à un bannissement impitoyable, ce serait vue devoir s’établir au sommet d’une montagne. Tous les vendredis, elle s’entourerait de 11 « autres » sorcières et du diable en personne pour comploter tous les 13 sur les mauvais sort qu’elle, vengeresse, jetterait aux hommes.
Mais c’est encore le christianisme qui mettra le 13 sur un piédestal maléfique. Jésus aurait réuni ses 12 apôtres lors de son dernier repas, la célèbre Cène (du latin cena, le diner). Tous les 13 auraient donc diné juste avant que le traître Judas, l’un des douze apôtres, ne livre Jésus aux Romains. Depuis, il est souvent considéré comme très mauvais présage d’être 13 autour d’une table.
Vendredi 13, mauvais présage ou super chance ?
Lorsque l’on associe le plus grand numéro porte-malheur au jour le plus morbide, beaucoup de superstitieux croient que les malédictions s’annulent, suivant la règle du « moins par moins donne plus ». La chance est alors de leur côté et il faut la saisir. Mais si la majorité des gens continue de croire que le vendredi 13 est doublement malheureux, et que vous êtes intrigué de savoir pourquoi, voilà la raison la plus plausible, la plus répandue, et la plus justifiée dans notre culture.
Le vendredi 13 octobre 1307 est une date capitale dans l’Histoire. Les chevaliers de l’ordre du Temple, dits les Templiers, appartenaient à cet ordre militaire et religieux établi depuis presque 2 siècles. Philippe IV le Bel, alors roi de France, ordonna ce jour-là l’arrestation et la mise à mort catégorique de tous les chevaliers. Période extrêmement violente et sanglante, qui débuta donc par un vendredi 13. Les chrétiens, qui voyaient les templiers comme hérétiques, se réjouissaient de la décision de leur roi, considérant alors ce jour comme un jour de bonheur, les autres, en revanche, assistant à ce massacre, le considérèrent comme un grand malheur.
Le vendredi 13 a toujours été ambigu. La 13ème lettre de la Kabbale hébraïque symbolise l’équivocité de cette superstition avec brio. En effet, cette lettre, prononcée « Mem », signifie la mort comme fin en soi mais aussi comme renouveau. La mort est terrible si on s’y arrête, bénéfique si on la dépasse. Voilà pourquoi ce fameux vendredi 13 peut à la fois être heureux ou malheureux, chanceux ou guignard. À vous de choisir entre l’optimisme et le pessimisme.